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autorisation de l'auteur
Quelques déclarations sur le Concorde
Lettre adressée par P.
Messmer, Ministre des Armées, et R.
Buron, Ministre des Transports, à Michel
Debré, Premier Ministre : « Sous
peine de perdre sa place dans la construction civile mondiale
– et de perdre d'une façon probablement définitive
--, la France doit lancer maintenant une opération
d'envergure, et l'évolution de la technique exige qu'il
s'agisse d'une opération supersonique »
(19/10/1961).
Henri Ziegler, Président
de Sud-Aviation 1968/1973 : « En 1961,
j'ai expliqué au Gouvernement que c'était l'avion
qu'il ne fallait pas faire. Je savais que la qualité
d'un avion, sa valeur, c'était sa rentabilité.
Or Concorde m'apparaissait comme commercialement absurde :
il était trop petit et il n'avait pas assez de rayon
d'action. Mon point de vue a triomphé, en ceci que
personne ne l'a acheté » (juin 1992).
Joseph Roos, Président
d'Air France 1961/1967 : « Faites-moi la grosse
Julie (un supersonique moyen-courrier, préfiguration
de l'Airbus) avec 150 passagers au plus, au lieu d'un
supersonique dont personne ne peut me dire le prix de revient
au kilomètre, ni le prix de vente » (au
Commissariat Général du Plan, 15/9/1961).
Lucien Servanty, Directeur
du Bureau d'Etude de Sud-Aviation : « Ca m'intéresse
beaucoup plus de faire un avion de transport supersonique,
plutôt que la grosse Julie » … «
Et maintenant, le moyen-courrier, c'est dans la poche
» (1962).
Le Général de
Gaulle, Président de la République
: « Bon, bon, très bien, faisons le Concorde.
Je m'étais pourtant habitué à l'idée
qu'on ne le ferait pas, qu'on ferait quelque chose de plus
rentable, de plus commercial. Nous ne pouvons plus reculer,
puisque les Anglais ne reculent pas, mais je ne suis pas sûr
que ce soit une bonne affaire, c'est tellement cher »
(21/1/1965). Alain Peyrefitte,
qui rapporte ce propos : « Le Général
a un ton résigné : on ne peut pas faire autre
chose que de poursuivre ».
De Gaulle, Conseil des Ministres du 2/2/1966
: « Ce Concorde est un gobe-millions… Mac
Namara disait : " Les experts mentent, les industriels
mentent " et j'ajoute : " Les administrations laissent
passer les mensonges ". Si on abandonne, c'est un trou
qui nous coûtera très cher. Nous aurons sur les
bras Sud-Aviation, la SNECMA, etc. Il faudra recaser les gens
et on ne saura pas où les mettre… Je pense qu'il
y a bien des désordres et des chevauchements, des initiatives
qui en remplacent d'autres, etc. Ces façons de gérer
sont au-dessous du médiocre.».
Georges Pompidou,
Premier Ministre : « Le Concorde est une erreur
grandiose » (jugement rapporté par le Général
Arrouays, attaché à son Cabinet de 1965 à
1968).
Pierre Messmer, Ministre
des Armées 1960/1968 : « L'Airbus sera un
bon appareil, que l'on vendra en série, avec bénéfice.
Ce ne sera pas une entreprise hasardeuse comme le Concorde
» (au Conseil des Ministres du 17/5/1967).
Jean Forestier, Directeur
Général du Programme Concorde 1966/1968 : «
Si vous cherchez un sacrifice, fût-il très
douloureux, mais qui s'avère finalement rentable et
vous permette vraiment d'assainir l'industrie aéronautique,
arrêtez Concorde avant qu'il nous ait conduits au suicide
» (au Ministère des Finances, 14/10/1968,
deux semaines avant qu'il ne démissionne de son poste).
Alors, pourquoi avoir persévéré
dans une voie que beaucoup savaient fausse ?
Souvenirs de Jean Peyrelevade,
fonctionnaire à la Direction Générale
de l'Aviation Civile 1964/1973 : « Dans les années
1960, il y avait dans les Ministères un tel terrorisme
qu'énoncer des réserves au sujet du Concorde
était impossible. Ainsi, l'Ingénieur Général
de l'Armement Gérardin a été mis en retraite
anticipée pour avoir exprimé ses "états
d'âme", et Jean Forestier a préféré
démissionner, mois de trois ans après sa nomination
à son poste de Directeur Général
» (10/2002).
Souvenirs de Jean Saint-Geours,
Directeur de la Prévision 1965/1967, administrateur
de Sud-Aviation : « En 1966, j'ai remis un rapport
à mon Ministre, Michel Debré : " L'entreprise
est insensée, aucune chance d'aboutir et de ne pas
se ruiner… Il faut arrêter au plus vite ! ".
Mais malgré les efforts de Jean Forestier, c'est comme
si les rapports n'existaient pas : les constructeurs et leur
tutelle technique continuaient à officialiser des histoires
funambulesques » (9/2002).
Analyse d'Henri Martre,
Président de l'Aérospatiale 1983/1992 : «
Monsieur Sarre, vous le savez bien, en France, quand un
grand truc comme ça est lancé, plus personne
ne peut l'arrêter, plus personne ! » (11/2000).
Deux jugements venant de l'étranger,
fin 1975 / début 1976
K. Hammarskjöld,
Directeur Général de l'Association Internationale
du Transport Aérien, trois mois avant la mise en service
du Concorde : « Il y a quinze ans, les constructeurs
français et britanniques ont cru qu'il fallait donner
la priorité à la vitesse. Il apparaît
que d'autres choix auraient été plus judicieux
» (31/10/1975).
Suddeutsche Zeitung,
journal de Munich : « Avec le Concorde, on est en
présence d'un phénomène nouveau : un
excellent produit de la technique a échouer. La machine
franchit le mur du son, mais ne passe pas les barrières
économique et écologique, qui, pendant le long
développement de l'appareil, n'ont fait qu'augmenter.
Le bruit des moteurs et le bang sonique, la forte consommation
de carburant et le rayon réduit "gâtent"
la carrière d'un avion qui, en fin de compte, est condamné
comme symbole d'une croyance aveugle dans le progrès
» (21/1/1976, jour du premier vol commercial).
Trop tard
Oui, il était beau et il a fait
rêver les Français « La seule excuse
valable, quand on crée un objet inutile, c'est de l'admirer
intensément » (Oscar
Wilde, 1891).
Le Concorde a-t-il retardé de plusieurs années
la sortie de l'Airbus ?
1) En 1959/61, le
grand débat oppose la technostructure des Ministères
qui, avec le soutien des industriels, est convaincue que le
succès du transport supersonique commercial est «
inéluctable », même en moyen-courrier
(« Même sur une étape aussi courte
que Paris – Rome, un avion supersonique en concurrence
avec des subsoniques écrasera ces derniers au point
de vue remplissage », note ministérielle
10/1961), à Air France, qui repoussant farouchement
cette hypothèse, défend avec ténacité,
pour succéder à la Caravelle, le projet d'un
avion subsonique de « 150 passagers ou plus
», que son Président, Joseph Roos, appelle «
la grosse Julie ».
2) La querelle est
définitivement tranchée par la lettre adressée
par Pierre Messmer (Ministre des Armées) et Robert
Buron (Transports) à Michel Debré le 19/10/1961,
où ils affirment « L'évolution de
la technique exige qu'il s'agisse d'une opération supersonique
». Malgré ce choix, la position d'Air France
et de la BOAC reste très ferme. Faute d'avoir été
entendues, elles rappellent à leur tutelle respective
qu' « elles utiliseront ces avions si, techniquement
et économiquement, leur emploi est justifié
».
3) Au Conseil des
Ministres du 28/10/1964, deux jours après que G. Pompidou
ait reçu le message d'Harold Wilson exprimant ses "doutes
légitimes" sur le Concorde, Marc Jacquet (Transports)
réagit avec force : « Ou il faut continuer
hardiment, ou il faut tout arrêter (…) Trente
mille ouvriers seraient employés à la construction
du Concorde. Ca assure le plan de charge de l'aviation jusqu'en
1975. Ou alors, il faudrait effacer cette opération
Concorde, et faire l'aérobus, ou "gallion",
gros porteur internationalement valable, qu'il faudrait vendre
à 200 exemplaires pour l'amortir ». Eh oui,
Marc Jacquet, il faudrait effacer… C'est bien Ou
l'un, Ou l'autre !
4) Jean Delacroix,
en charge du suivi de l'opération Concorde à
la Direction des Transports Aériens du Ministère
des Transports 1962/1967, et qui faisait partie du Comité
Permanent des Fonctionnaires franco-britanniques, m'a dit
qu'il avait remis en juillet 1965 à son Directeur,
Robert Vergnaud, un rapport destiné au Commissariat
Général du Plan au moment de la préparation
du Vème plan : il insistait sur la nécessité
de prévoir des crédits d'études importants
pour l'Airbus puisque « le Concorde ne pouvait avoir
qu'un marché limité » ; son rapport,
me dit-il avec des regrets rétrospectifs, aurait été
bloqué par son Directeur, Robert Vergnaud ; en tout
cas, il n'a pas été transmis au Plan.
5) M. Anthonioz, Rapporteur
à l'Assemblée Nationale du Budget 1967 de l'Aviation
Civile, écrit en octobre 1966 : « Dans le
budget 1966 (donc en octobre 1965), on avait inscrit, pour
l'Airbus, un crédit d'étude de 5 millions. Plus
aucun crédit n'est prévu dans le budget 1967.
A défaut de l'adoption du projet Airbus, d'ici peu
d'années, notre industrie risquera de se trouver uniquement
orientée sur la construction de Concorde, avion de
type particulier, donc de marché assez limité
(…). L'Airbus reste notre chance, il faut la saisir
rapidement. De cette intention, le budget 1967 ne porte aucune
trace. Nous le regrettons ».
6) Pierre Messmer,
Ministre des Armées, déclare au Conseil des
Ministres du 17/5/1967 : « L'Airbus sera un bon
appareil, que l'on vendra en série, avec bénéfice.
Ce ne sera pas une entreprise hasardeuse comme le Concorde
».
7) En 1968, la répartition
des crédits de la Direction des Essais en vol de Sud-Aviation
est a suivante : Concorde 89 %, Caravelle 6 %, Airbus 5 %.
Finalement, le premier vol commercial
de l'Airbus aura lieu en mai 1974 (20 mois avant celui de
Concorde). Il paraît évident que, si en 1961
ou 1964, la décision avait été prise
en faveur d'un « gros porteur » subsonique, et
non pas d'un supersonique, l'Airbus aurait pu être lancé
plusieurs années plus tôt (4, 5, 6 ans ?).
Rappelons enfin que la plupart des
solutions singulières du Concorde ne se retrouvent
pas sur l'Airbus : les moteurs permettant de voler à
Mach 2, l'alliage Au2GN, l'aile gothique, le poste de pilotage
(Gabriel Aupetit, qui a dirigé pendant 12 ans la Division
Concorde et Airbus d'Air France, et qui pourtant déclare
"une affectation toute personnelle" pour le Concorde,
écrit : « Ce sera vraisemblablement le dernier
avion doté d'un poste de pilotage si impressionnant
par le nombre d'instruments. Quelle différence avec
les avions de la nouvelle génération style Airbus
A310 et A320 avec cockpit à écrans cathodiques
! »), les trains d'atterrissage et les pneus qui
ont posé bien des problèmes – pas seulement
à Gonesse en juillet 2000 – le nez basculant,
etc., tout cela n'existe que sur le Concorde, pas sur l'Airbus.
Un expert complèterait facilement cette courte liste,
bien mieux que moi.
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