
Première partie : La chimie en Provence avant 1914
Intervenant : M. Xavier DAUMALIN
La chimie est une industrie séculaire en Provence.
Il existe des savonneries à Marseille depuis le XIVe s.,
et le soufre est exploité dès le XVIIe s. Elle atteint
son apogée au cours du XIXe. A la veille de la première
guerre mondiale, cette industrie subit la concurrence d’entreprises
étrangères, plus modernes, mieux structurées.
Les principales filières sont sur le déclin. Pourtant,
certains secteurs rebondissent. Cette période illustre comment
les industries chimiques ont reçu de plein fouet puis intégré
le modernisme et la réactivité anglo-américaine.
Les grands marchés sur le déclin
 Le
savon
Au XIXe, l’industrie chimique phare de la
Provence est le savon. On compte en 1911 pas moins de 40 entreprises,
produisant 2000 tonnes, soit 50% de la production française.
Ces entreprises ont une structure ancienne inadaptée à
l’évolution du marché : trop nombreuses, divisées,
elles manquent de fonds de roulement. Les huileries, principales
clientes des savonneries, ont découvert de nouveaux débouchés
: margarine, végétaline. Elles imposent leurs prix
aux savonniers. Dans ce contexte difficile, ces derniers doivent
aussi concurrencer l’anglais Lever, qui met en place un modèle
d’entreprise intégrée, avec une forte concentration
verticale, et une maîtrise interne des coûts. Lever
possède des savonneries, des huileries, et dispose de ses
propres voies maritimes. L’anglais s’installe à
Marseille en 1913. Les savonneries ne peuvent résister.
Le
soufre
Cette industrie connaît une forte croissance
au cours du XIXe s. Les entreprises marseillaises, leader mondial
au début du siècle ont comme principal concurrent
les américains, à travers les « Raffineries
Internationales de Soufre » (RIS), qui représentent
20% du marché. Un nouveau procédé, le procédé
FRASCH, vient révolutionner ce marché. Il permet de
s’approvisionner en Louisiane. Les américains, comme
dans la compétition entre Lever et les savonniers, ont une
organisation moderne et verticale (liaisons maritimes) qui leur
permet de s’imposer sur les entreprises marseillaises.
La
soude
En
1911, on compte 20 soudières en Provence : Marseille, Septêmes,
Istres, et même Porquerolles ! A tel point qu’on parle
du « littoral de la Soude ». Toutes ces soudières
utilisent le même procédé : le procédé
Leblanc. Or ce marché est bouleversé par le nouveau
procédé Solvay, moins cher et moins polluant. Pour
résister, les entreprises tentent de développer la
filière de la soude à l’ammoniac, notamment
à Salins et dans le Vaucluse. Mais Solvay implante une usine
à Marseille et en 1902 les marseillais renoncent à
produire de la soude. Mais d’autres horizons se profilent
pour les soudières…
Le rebond et les nouveaux débouchés
Les
engrais
Ne
pouvant rivaliser avec leurs concurrents, les soudières Leblanc
changent de stratégie et se reconvertissent dans la production
du Chlore (HCl) et de l’acide sulfurique (H2SO4), avec comme
débouché les marchés du sel et des engrais
chimiques.
Des politiques commerciales innovantes sont développées
: pour promouvoir les engrais chimiques dans le monde de l’agriculture,
Schloesing crée « la gazette des champs ». Il
distribue également aux instituteurs une mallette de travaux
pratiques contenant de petites doses d’engrais afin que la
jeunesse rurale puisse en observer durant la classe les effets prodigieux.
En 1906, la gazette des champs est tirée à 250 000
exemplaires !
L’acide sulfurique trouve aussi de nouveaux débouchés
auprès des raffineries de pétrole, car il intervient
dans la réaction permettant de passer du brut au pétrole
lampant, utilisé pour l’éclairage.
L’alumine
Cette
industrie se développe fortement à partir de 1890.
BAYER crée en 1892 une usine à Gardanne (loin des
sites d’extraction de la bauxite car le procédé
consommait 4 fois plus de charbon que de bauxite). On compte aussi
2 autres sites à La Barasse et St-Louis.
En 1913, Marseille est le leader mondial de l’alumine.
L’acide
tartrique
En 1890, l’entreprise LEGRE-MANTE et Cie exploite
le procédé Napoléon GLADYSZ pour produire de
l’acide tartrique. En 1913, elle produit 1300 tonnes, soit
30% de la production mondiale, et est leader de ce marché.
Bilan
Malgré les faiblesses structurelles de la
chimie provençale face aux concurrents étrangers,
les entreprises ont fait preuve d’un sens de l’innovation
pour se créer de nouveaux débouchés et couvrir
de nouveaux marchés.

Seconde partie : De 1914 à nos jours
Intervenant : M. Philippe MIOCHE
Les grandes évolutions de
1913 à aujourd’hui
La
première guerre mondiale
Le conflit mondial de 1914 amène l’Etat
à créer de nouvelles usines pour alimenter cette guerre.
Ainsi naissent les sites de St-Auban, construit en 4 mois par Pechiney
sur la Durance, des Lecques et de Port-de-Bouc. Cette période
voit la fermeture du site d’Alumine de St-Louis / Les Aygalades.
C’est Pechiney qui est à l’origine de leur chute
: profitant du climat anti-allemand il déclenche une cabale
contre son concurrent, en lançant : « Ils produisent
des obus allemands ! » (l’exploitant était une
société suisse).
Les années 20 voient le déclin des marchés
de l’huile et du savon. Mais la France récupère
des parts dans les puits irakiens, et les sites de Berre, Lavéra
et la Mède commencent à émerger.
Sur le plan social, c’est également la négociation
des premières conventions collectives.
La
seconde guerre mondiale et les « trente glorieuses »
A l’issue de la seconde guerre mondiale, la
pétrochimie bénéficie largement du plan Marshall,
grâce à un important transfert de compétences
de la part des américains. Naphtachimie est créé
en 1947.
La consommation de masse pousse ce secteur avec notamment l’industrie
du textile et du disque. C’est ainsi que le site de St-Auban
se reconvertit de la fabrication de gaz de combat à la production
de disques vinyle…
La
crise industrielle (de 1974 à nos jours)
Les maîtres mots sont dépression et
restructuration.
La chimie provençale résiste très bien aux
chocs pétroliers, grâce à une capacité
d’innovation, tant au niveau des produits que des process.
Le raffinage est découplé de la pétrochimie.
On passe à une industrie de qualification, concomitante à
une diminution très nette des effectifs. Mais à l’inverse
de la Lorraine, cette transition s’effectue en douceur, sans
crise sociale.
De grandes entreprises sont nationalisées : St-Gobain, Rhône-Poulenc.
Les capitaux étrangers occupent une place de plus en plus
importante.
Tableau actuel
Continuité
Le
premier constat que l’on peut dresser est la continuité
: certaines entreprise d’aujourd’hui sont des entreprises
séculaires, et il existe à Marseille de véritables
dynasties entrepreneuriales (ex : Famille LEGRE MANTE).
Innovation
Le second est sans doute inhérent à
la chimie : c’est la rapidité des changements. On ne
connaît pas à un horizon de 3 ans les produits à
venir.
De plus de nombreuses start-up ont vu le jour sur le secteur du
traitement des déchets et du recyclage.
Les grandes entreprises s’attachent également à
valoriser le maximum de sous-produits issus des réacteurs.
Ouverture
internationale
Les entreprises chimiques de Provence sont tournées
vers l’international :
- D’une part pour l’approvisionnement
des matières premières : l’exploitation locale
a cédé le pas à l’importation. On touche
ici un sujet d’actualité avec la fermeture des mines
de charbon de Gardanne. Le sel, et un peu de bauxite (à
Gardanne) sont les dernières matières premières
exploitées en Provence.
- D’autre part avec l’ouverture des
capitaux à l’étranger : seuls les japonais
sont absents aujourd’hui.

Tendances et conclusion
En
évoquant la Provence, on pense aux oliviers, aux champs de
lavandes, au « puissant soleil de juillet [qui fait] grésiller
les cigales », et à la mer turquoise qui vient faire
la sieste dans la fraîcheur des calanques. C’est peut-être
une représentation déformée : la Provence est
aussi une grande terre d’industrie. Celle-ci
a fortement impacté sur l’emploi, l’aménagement
du territoire, le commerce. L’industrie chimique n’est
d’ailleurs pas la seule présente en Provence : la métallurgie,
l’agroalimentaire et le charbon ne doivent pas être
oubliés.
Sujet longtemps tabou, les relations entre la chimie
et l’environnement sont aujourd’hui au cœur des
campagnes de communication des entreprises. Elles rivalisent d’initiatives
pour le progrès et les réglementations anti-pollution.
La chimie assoit son avenir dans le développement
durable.
Chose promise, chose due : l’ingénieur
de la Compagnie Générale de la Chimie André
VANGOD avait un surnom tiré du provençal : «
Pitchounet ». Ainsi naquit Pechiney.
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